Avec Love in the Endz, tout est histoire de partage et d’ouverture musicale. En mars 2020, alors que le monde entier est sur le point de s’enfermer chez soi durant de longues semaines le producteur et animateur britannique de Reprezent Radio, Blue Canariñho, lance une nouvelle émission afin de rassembler ses auditeurs confinés. Ce nouveau né sur les ondes londoniennes répond au nom de Love in the Endz. Derrière cette formule à la fois familière et intrigante, Blue y présente les morceaux qui font l’identité musicale de son quartier, son “endz” en slang. Au fil des épisodes et des invités de plus en plus prestigieux, un amalgame sonore singulier se forme. La nervosité du grime côtoie les dernières innovations farfelues du baile funk, avant de sauter vers les cadences hypnotiques d’un reggaeton hors de tout formatage. Il ne faudra pas attendre très longtemps pour que le jeune producteur et DJ portugais basé à Londres Daviaa, ainsi que le DJ parisien yzeeH, en séjour dans la capitale britannique à l’époque, prennent part à l’aventure. Désormais bien plus qu’une émission de radio, Love in the Endz s’est muté en un collectif, un label et en définitive une plateforme qui permet aux artistes du monde entier de représenter leur “endz” via leur musique et d’autres arts. Le second volume de leur compilation Amor Na Endz, qui vient de paraître, en est la vibrante illustration. En pleine canicule, c’est dans le cadre rafraîchissant du Jardin des Plantes à Paris que le trio est revenu pour PAM sur ses premiers pas et son ambition de créer une famille à l’échelle internationale.
Pouvez-vous nous raconter la genèse de Love in the Endz et quelles sont les motivations derrière ce projet ?
Blue Canariñho : A l’époque, je travaillais dans un centre londonien pour jeunes afin de les initier à la musique et à d’autres arts. Un jour, j’étais dans l’atelier avec eux et nous faisions des impressions. Pour une raison quelconque, j’ai écrit « Love in the Endz », c’était quelque chose que j’avais en tête depuis longtemps. J’ai toujours soutenu l’amour qu’on porte pour sa communauté mais je n’avais pas de nom pour cela. Il s’agit simplement de représenter l’endroit où l’on se trouve dans le monde, que ce soit les favelas ou les bairros, ou n’importe quel endroit dans le monde.
À partir de ce jour-là, j’ai commencé à l’écrire partout. C’était à l’été 2019, environ six mois avant que j’aille au Brésil et que le Covid arrive. Lorsque je suis rentré à Londres, nous étions confinés, tout le monde a commencé à faire des émissions à distance parce que personne ne pouvait faire de live en présenciel. J’ai commencé une toute nouvelle émission à partir de cette idée de Love in the Endz. J’ai fait peut-être trois émissions par moi-même avant d’en parler à Daviaa, que je connaissais à Reprezent Radio. Ce n’est que lorsque Daviaa est venu m’aider que ça a pu devenir ce que c’est aujourd’hu.i
C’est aussi à ce moment-là que nous avons rencontré yzeeH. de la scène future beats, tout s’est connecté. C’était juste une émission de radio au départ. Il n’a jamais été question de créer un collectif, un label ou quoi que ce soit d’autre.
Love in the Endz évoque l’amour que l’on porte à sa communauté et à son quartier d’origine : qu’aimez-vous particulièrement chacun au sein de votre propre “endz” ?
Blue : Là où je vis dans l’Est de Londres, il y a ce mélange incroyable de cultures que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Londres est comme une grande hybridation de cultures du monde entier. Là-bas les gens sont mélangés, on les appelle les « Cockneys » – ça veut juste dire que vous êtes de l’Est de Londres – c’est un endroit très communautaire et tout le monde est juste cool les uns avec les autres. Vous pouvez être d’origine jamaïcaine ou de n’importe quel endroit du monde, vous devenez un Cockney. C’est très difficile à expliquer jusqu’à ce que vous y alliez. Vous allez au pub, il y a des Brésiliens avec des Anglais, des Irlandais, des Jamaïcains, ça ne dérange personne que tout le monde soit de cultures différentes. C’est pour ça que j’aime mon « endz ».
Daviaa : Lorsque nous sommes allés à Lisbonne en avril dernier, j’ai rencontré tous ces gars que j’admire et qui viennent du même quartier où j’ai grandi, près de Queluz : DJ Adamm, Vanyfox, Danifox, Negoo. Je n’ai pas rencontré une seule mauvaise personne, tout le monde là-bas est juste bon et authentique. Et comme Blue disait, c’est un melting-pot de différentes cultures : Angolaise, Mozambicaine, Capverdienne… C’est intéressant de voir les contrastes par rapport au melting-pot de Londres. Mais j’ai toujours aimé cet aspect communautaire. Surtout en musique, tout le monde passe de la musique sur son balcon ou dans la rue en jouant au football.
yzeeH. : C’est un peu la même chose, mais de part l’histoire et la culture, il y a beaucoup de gens d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique du Nord ici en France. La chose que vous entendrez souvent, c’est que tant qu’il y a du respect et de la bonne entente, vous êtes les bienvenus. Pour faire le lien avec la musique, j’ai aussi envie de créer un mouvement autour de la musique nord-africaine, j’y travaille. C’est ma partie personnelle sur ce projet. Pour résumer ce que nous avons dit, c’est le même état d’esprit partout, on retrouve ce même dévouement et cette volonté de fédérer.
Quelle était la direction artistique pour cette nouvelle compilation ?
Daviaa : Nous voulions que cette nouvelle compilation soit aussi multi continental et diversifiée que possible. On a quand même conservé le fait que la moitié de l’album soit composée de producteurs portugais et brésiliens. Il n’y avait pas de direction musicale à proprement parler, nous voulions simplement que chacun présente son ADN et les sons de son « endz ». DJ Adamm montre le côté obscur et ghetto de la batida. Fran G puise dans son héritage maya avec les voix et les instruments qu’il utilise.
Blue Canariñho : Avec la première compilation, l’idée de scinder en deux parties Dia & Noite était uniquement due au fait qu’il y avait énormément de morceaux. Nous les avons divisés en morceaux de jour et de nuit, c’était parfait. Avec celui-ci, je pense que les gens qui ont écouté le premier volume ont compris ce que nous aimions, donc les artistes ont adapté leurs morceaux en fonction. Ils ont aussi réalisé qu’il allait sortir en été, donc il y a quelques bons morceaux pour faire la fête. Nous n’avons jamais imposé de thème pour la compilation, nous voulions qu’ils fassent ce qu’ils veulent. On leur a donc dit : “Quelle que soit votre humeur du moment, suivez-la !”
Pouvez-vous nous expliquer le concept derrière le visuel « Tower Block Utopia » réalisé par Misbah qui est au cœur de ce second volume d’Amor Na Endz?
Blue Canariñho : Misbah fait partie de la scène londonienne à l’origine, il a été le premier à amener le grime au Razzmatazz, l’un des plus grands clubs de Barcelone. Il est également graphiste et artiste visuel. Pour Amor Na Endz Vol.1, nous avons fait une exposition avec toutes mes peintures dans une galerie d’art à Hackney et nous y avons également mixé. L’année dernière, l’art était physique tandis que les connexions avec les artistes étaient numériques. Nous avons inversé les choses cette année.
Le second volume regroupe à peu près tous les artistes que nous avons rencontrés en personne et cette fois l’art est numérique. Nous avons donc créé un monde avec le concept du « Tower Block Utopia ». Les tours d’habitation sont au centre du projet comme vous pouvez le voir sur le visuel du premier single.
À Londres, ils sont perçus avec beaucoup de connotations négatives. Nous, nous les voyons comme une utopie. La plupart des talents britanniques viennent de ces tours. C’est là que le grime, le garage, la jungle et tous ces genres britanniques ont commencé. Alors nous avons pensé que nous pourrions construire un monde numérique, où les gens peuvent voir ce qu’il y a à l’intérieur de ces tours. Et c’est drôle parce que Misbah n’a jamais vu où est-ce que j’habite mais en face de chez moi, il y a deux tours impressionnantes qui ressemblent beaucoup à celles qu’il a créées pour la vidéo.
Comment voyez-vous l’évolution de l’émission et du label ?
Blue : Concernant l’émission, vous pouvez déjà voir une sorte de changement au cours des trois derniers mois car les frontières ont été ouvertes à nouveau. Les gens sont à nouveau autorisés à venir à Londres. Avant il n’y avait pas tellement de contenu visuel, c’était exclusivement audio. Maintenant, Daviaa et moi on filme deux à trois mixes avec des invités par semaine. Nous nous dirigeons de plus en plus vers un univers visuel, d’où l’importance de “Tower Block Utopia”. Au fur et à mesure, nous commençons à organiser nos propres soirées. Pour l’instant, nous mixons pour d’autres soirées, ce qui est déjà génial. Pour le label, peut-être qu’on va sortir des EPs et ainsi devenir un vrai label, qui sait? Je pense que nous avons définitivement une compilation de plus à faire avec un troisième volume, où nous allons fusionner le numérique et le physique. Quoi qu’il en soit, il s’agira simplement pour les artistes de présenter leur art à partir de leur propre “endz”.
Amor Na Endz Vol.2, disponible dès maintenant.
Love in the Endz est invité par le collectif Sudar le 23 juillet à L’Alimentation Générale.